La plupart de ces combattants de la démocratie ont été muselés, détenus, torturés ou bien ils ont disparu ou encore ils ont été tués par des dictateurs arabes et même par des dirigeants qui ont une image de modérés en Occident.
Visitez n’importe quelle capitale européenne aujourd’hui et vous y trouverez une foule de penseurs arabes, d’intellectuels, de journalistes, de militants des droits humains et de scientifiques qui ont choisi l’exil plutôt que de continuer à vivre sous leurs régimes tyranniques. Nombre de médias arabes indépendants se sont développés dans des villes comme Paris et Londres et beaucoup d’ONG arabes régionales ont leurs bases officielles hors de la région.
La télé satellite et Internet ont été une aubaine pour beaucoup de ceux qui s’opposent aux régimes autoritaires. La chaîne de télévision indépendante Al Jazeera a fait connaître beaucoup de ces militants dans le monde arabe par des programmes tels que Al Itajah al Muakes (« Direction opposée ») et Aktar men rai (« Plus d’une opinion »). Internet a procuré un moyen de mobilisation et de conscientisation bon marché, non censuré et difficile à localiser.
Avec un mouvement démocrate arabe de cette force, un observateur objectif s’attendrait à ce que les intellectuels arabes et les militants des droits humains accueillent très favorablement les appels des Etats-Unis à imposer une pression importante sur les régimes arabes afin qu’ils réforment leurs gouvernements. Mais un silence étrange s’est abattu sur les opposants politiques, dans le monde arabe et aussi en exil. A vrai dire, une attaque générale beaucoup plus massive que d’habitude s’est faite jour contre le nouveau plan américain de réforme. Ces attaques qui ont paru dans les pages « opinion » des plus grands journaux arabes et dans les débats télévisés des chaînes satellite, se sont focalisées presque exclusivement sur trois domaines. Les attaques ont contesté la crédibilité de Washington et émis de sérieux doutes quant aux buts réels du gouvernement américain de manière générale et de l’administration Bush en particulier. Les critiques ont aussi attaqué les Américains pour leurs tâtonnements arrogants, sans consultation avec les gouvernements arabes ou des représentants indépendants, avant d’offrir leur formule pour sauver le monde arabe de lui-même. Enfin, presque toutes ces attaques étaient des appels aux Etats-Unis pour qu’ils aident à résoudre le problème palestinien au lieu de déplacer l’attention sur la question du besoin de réforme.
Il y a beaucoup de vrai dans les critiques mentionnées plus haut. Les Etats-Unis, l’Union européenne et toute autre partie qui s’intéresse à la réforme dans les pays arabes doit se pencher de près et très sérieusement sur les problèmes que posent les réactions au plan américain. Il semble que ce soit déjà le cas : on rapporte que le secrétaire d’Etat américain a dit que les Etats-Unis n’essaient pas d’imposer leur plan et il est clair qu’une série de consultations est en cours, directement ou indirectement, avec le monde arabe.
Mais s’il est vrai que la critique est correcte en apparence, elle me pose deux problèmes. D’abord, beaucoup de ceux qui l’expriment et la plupart des médias qui ont fait connaître ces opinions ont eux aussi un problème de crédibilité par rapport à la démocratie et aux droits humains. A la chute du régime de Saddam Hussein, on a trouvé des documents, des preuves d’un réseau extensif de prébendes à des journalistes, des commentateurs et des intellectuels arabes importants. L’indépendance des médias dans le monde arabe laisse beaucoup à désirer. Je pense que nombre des articles qui paraissent dans ces journaux représentent les régimes autoritaires eux-mêmes. Je ne dis pas que ces articles ont été commandés ou payés par ces régimes mais beaucoup de dirigeants arabes en semblent très contents et doivent les avoir encouragés en privé. Nombre de ces régimes n’oseraient pas s’opposer publiquement à une idée présentée par les Etats-Unis. Ceci est un cas exceptionnel où ils semblent défendre la liberté d’expression tout en autorisant des intellectuels apparemment indépendants à exprimer à leur place l’opposition à l’appel aux réformes par les Etats-Unis.
Ensuite, j’ai aussi un problème avec ceux qui veulent lier la réforme dans le monde arabe à une résolution du problème palestinien. Pendant trop longtemps, les régimes arabes ont utilisé le problème palestinien afin de détourner l’attention de leur propre incompétence et de leurs difficultés internes. La cause palestinienne gagnera à la réforme dans le monde arabe, elle n’en pâtira pas. Si une telle réforme devait vraiment se faire, et on peut penser qu’elle va se faire, les gouvernements arabes devront être beaucoup plus ouverts aux exigences de leurs peuples. Et les exigences du monde arabe aujourd’hui, c’est que leurs dirigeants soutiennent la Palestine en actes, pas seulement en paroles. De plus, le problème palestinien n’est pas un paramètre réel quand il s’agit de réforme dans de nombreux pays arabes qui ne sont pas directement voisins de la Palestine. Il n’y a aucun besoin de lier la réforme au Maroc ou à Oman, par exemple, à la résolution du conflit israélo-palestinien.
A franchement parler, ce qui me gêne dans l’appel à la réforme par les Etats-Unis, et dans la réaction qu’il entraîne, c’est le silence des vrais intellectuels arabes en ce qui concerne le besoin de réforme et la substance de celle-ci, bien plutôt que les parties qui la demandent. Il est vrai, dans les circonstances terribles que traverse la nation arabe aujourd’hui, que le silence peut sembler à certains un remède très efficace. Permettez moi de penser différemment. Etant donné que les démocrates arabes n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs par leurs propres efforts, il ne me paraît pas dangereux de soutenir toute idée qui correspond aux leurs, quel qu’en soit le messager. Si les véritables intellectuels ne sont pas capables de faire cette distinction, ils laissent la parole à des intellectuels d’occasion ou des porte-parole arabes déguisés. Si les intellectuels n’ont pas la capacité ou la volonté d’identifier vraiment notre problème et s’ils ne s’expriment pas, les problèmes ne pourront qu’empirer dans le monde arabe et la réforme désirée n’aura pas lieu, qu’elle provienne de l’intérieur ou soit dûe à une pression extérieure.